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— Vous craignez, sans doute, la mort, répliqua Volney en ricanant, cette crainte est très naturelle à votre sexe.

Il s’éleva pendant la nuit une furieuse tempête, une de ces tempêtes que les marins les plus intrépides redoutent plus sur nos lacs que sur l’océan même, les lames étant beaucoup plus courtes. Madame Baby se mit tranquillement à réciter son chapelet, tandis que le citoyen Volney montrait une frayeur que beaucoup de personnes partageaient, sans néanmoins en donner des signes aussi manifestes.

Ce ne fut qu’après vingt-quatre heures que la tempête en se calmant répandit la joie parmi l’équipage et les passagers, ainsi que le calme dans l’âme du philosophe. Quand madame Baby vit Volney revenu de sa frayeur, elle lui dit :

— Je suis surprise qu’un grand philosophe comme vous ayez montré plus de crainte de la mort que la femme chrétienne dont vous vous êtes raillé ?

Comme un philosophe est toujours en fonds de réplique, Volney lui dit avec emphase :

— Je ne crains point la mort pour moi personnellement, madame ; mais j’ai une grande mission à remplir : celle de répandre la lumière parmi les aveugles humains ! une fois cette tâche accomplie, je serai prêt à entrer dans le néant.

Cette scène m’a été souvent racontée par madame Baby elle-même, et par un de ses fils, passager dans le même vaisseau, feu l’honorable Jacques Dupéron Baby, père de madame Éliza-Anne Baby, veuve de feu l’honorable Charles E. Casgrain.