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injures que par les larmes, la patience, la tendresse et la résignation.

La dernière fois que je l’ai vue, il y a six semaines, elle était agenouillée près de mon lit, lorsque je me réveillai après une nuit de débauche. Je voulus d’abord la chasser, mais à la vue de ses larmes qui mouillaient ses cheveux blancs, je n’en eus pas le courage malgré ma brutalité habituelle.

J’ai eu un mauvais rêve cette nuit, me dit-elle, et je sens que je parle à mon fils pour la dernière fois. Je ne te fatiguerai plus de mes remontrances, mais j’ai une grâce si petite à te demander que tu ne me refuseras pas, dit-elle, avec un sourire douloureux. Tu as été baptisé sous le nom de Joseph-Marie ; voici une petite médaille de la bonne Vierge ta patronne ; veux-tu la pendre à ton cou et l’invoquer si tu crois en avoir besoin. C’est si peu de chose que tu me l’accorderas. J’acceptai la médaille pour avoir la paix, bien déterminé à m’en défaire à la première occasion, mais elle resta suspendue à mon cou où je l’oubliai.

Lorsque je me sentis malade, il y a quatre jours, j’éprouvai un affaissement de l’âme, une tristesse inaccoutumée. Je repassai mes iniquités dans l’amertume de mon cœur ; je me rappelai mon père toujours si bon, si indulgent pour moi, malgré mes désordres, et sa ruine qui en avait été la conséquence. Je me rappelai ma vieille mère, ses prières, les larmes intarissables qu’elle versait sur moi : je m’agenouillai au pied d’un arbre pour prier, mais les sanglots étouffèrent ma voix. Je me sentais indigne d’adresser mes prières à Dieu que j’avais tant offensé ;