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voyais à la piste qu’il diminuait toujours de forces, mais quand j’arrivai à la seconde cabane, je n’y trouvai que son fusil qu’il n’avait pas eu le courage de porter plus loin. J’aurais reparti tout de suite, mais il faisait si noir que je craignais de perdre ses traces, et j’attendis au lendemain. Je me mis à courir, mais malgré cela, je n’arrivai qu’après le soleil couché au lac Trois-Saumons : il faisait noir dans la cabane, le feu était éteint, et je ne vis d’abord personne. Va me chercher à boire, me dit le malade, j’ai bien soif : prends ce cassot à tes pieds. Il me dit, quand il eut bu : reste près de la porte de la cabane : il y a un grand ours, ici, dans le fond, qui me regarde depuis hier avec des gros yeux rouges couleur de flammes.

— Tu es bien malade, mon frère, que je lui dis : je vois ton sac de loup-marin, mais pas d’ours. Je vais allumer du feu pour te réchauffer. — Merci, me dit-il, car j’ai bien froid.

Lorsque j’eus allumé du feu, il fit clair dans la cabane, et je lui dis : tu vois bien qu’il n’y a pas d’ours. Il est toujours là, me dit-il, et prêt à s’élancer sur moi. Ôte cela de ton esprit, mon frère, que je lui dis : tu es faible et le manitou[1] t’envoie des mauvais rêves : je vais te faire du bouillon pour te donner des forces.

Je plumai une perdrix, j’écorchai un lièvre, et je lui fis du bouillon. Il en but et me dit qu’il se trouvait un peu mieux, mais que la grosse bête était toujours à la même place qui le menaçait. Je vis bien qu’il était

  1. Manitou, l’esprit malfaisant des sauvages.