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MÉMOIRES.

dant la vacance, car il ne voyait goutte à ma maladie. Le traitement, auquel il m’avait soumis, était plus propre à me tuer qu’à me guérir. C’était un de ces chirurgiens que l’on appelait autrefois frater : [1] ce grade répond peut-être à celui de Hospital-mate, infirmier des anglais. Il est même probable que ces frater avaient remplis les mêmes fonctions dans les hôpitaux de l’armée française.

Tous les frater que j’ai connus pendant mon enfance, donnaient des pilules si grosses qu’il fallait les fendre en quatre pour les avaler ; ce qui ne les empêchait pas de guérir souvent les malades. Les habitants proclamaient hautement que les frater étaient de fins chirurgiens, que c’était plaisir d’avoir affaire à eux, qu’ils vous purgeaient un homme sans réplique. Nos médecins, dans ce siècle de progrès, considérant la bile comme un mythe, n’administrent, en conséquence, que des globules imperceptibles, ce qui ne les empêche pas de guérir aussi de temps à autres leurs malades ; et tout le monde est satisfait.

Une petite anecdote d’un frater trouve assez naturellement sa place ici. Une servante canadienne de Lady Dorchester ayant pris, un soir, un remède de son docteur français (tous les frater étaient français) tomba dans des convulsions épouvantables. Grand fut l’émoi au Château Saint-Louis. L’on mande, au plus vite, le médecin de la famille du Gouverneur, lequel déclara ne pouvoir rien prescrire avant de savoir ce que la mal-

  1. Frater, mot transporté du latin dans notre langue, et dont on se servait autrefois pour désigner un garçon chirurgien. On le dit quelquefois en plaisantant et d’une manière ironique pour désigner un mauvais chirurgien. « Ce n’est qu’un frater. C’est un pauvre frater. »
    Dictionnaire de l’Académie.