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MÉMOIRES.

et vindicatif, car le mensonge ne faussera pas l’histoire gravée sur le granit : la date de cette inscription menaçante, écrite sur la pierre, est de l’année 1736 ; elle ne pouvait donc être une annonce de vengeance pour le sang de Philibert, qui ne fut versé qu’en l’année 1748. Il est surprenant que cette circonstance n’ait pas frappé ceux qui ont écrit sur ce malheureux événement, qui n’était qu’un homicide justifiable, commis dans un premier mouvement de colère, laquelle est plus terrible encore chez les personnes douces et patientes que chez les autres, comme j’ai eu occasion souvent de l’observer.

Voici le récit simple que me faisaient les gens du peuple de cette catastrophe. Philibert était un homme querelleur et violent ; il se disputait un jour avec un officier français, lorsqu’une femme, qui sortait du marché, un panier sous le bras, s’arrêta devant la porte où cette scène avait lieu. Des menaces, Philibert en vint aux coups, et frappait l’officier avec une canne. L’officier, qui était un homme doux et patient, parait les coups comme il pouvait, lorsque cette femme lui dit : « Comment, monsieur, vous souffrez qu’un malva comme Philibert, vous abîme de coups ; et vous portez l’épée ! » L’officier, surmonté par la colère, tira alors son épée et en perça Philibert, qui mourut quelques jours après. L’opinion de ceux qui racontaient cette scène, paraissait être que M. de Repentigny n’aurait pas songé à tirer l’épée sans le sarcasme de cette femme.

Chose assez extraordinaire, c’est que toute la sympathie, même parmi le peuple, paraissait être pour l’officier. La version des gentilshommes était la même ;