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MAI 1762

auprès de madame la marquise de Villeroi, cette protectrice s’intéressa vivement à lui, et sa pièce fut reçue des comédiens. Avant d’être joué, M. de Belloy alla trouver l’abbé de Voisenon pour le consulter, et lui laissa son manuscrit. Quelques jours après, l’abbé de Lacoste, alors l’homme à la mode, arrive chez l’abbé de Voisenon : il le trouve lisant ce manuscrit ; il demande ce que c’est. L’autre lui répond que c’est une tragédie sur laquelle on demande son avis. « Je pense que c’est Titus, repart le brusque abbé : c’est ce coquin de de Belloy qui vous l’aura apporté. C’est un misérable, un drôle, etc. Sans vous en dire davantage, je vais chez moi, je vous en présente un semblable : confrontez-les ; vous verrez si ce n’est pas la même chose mot à mot. » Ce qui fut fait. L’abbé de Voisenon reconnut l’identité, et attendait, avec impatience, le moment d’éclaircir cette anecdote littéraire avec l’abbé de Lacoste, lorsque ce scélérat a été arrêté, et a subi le sort ignominieux que tout le monde sait[1]. Le manuscrit est resté entre les mains de l’abbé de Voisenon. De Belloy étant revenu, il voulut le tâter. Ce poète éluda de répondre, et n’a point revu depuis l’abbé de Voisenon. La pièce a été jouée en 1759, et a été jugée beaucoup plus sévèrement qu’elle ne méritait… Celle-ci réunit sur elle toute l’indulgence du public.

  1. L’abbé Lacoste, qui avait travaillé quelque temps, sous Fréron, à l’Année Littéraire, fut condamné aux galères perpétuelles, en 1759, pour crime de faux. Lors de sa mort, arrivée en 1761, Voltaire fit courir l’épigramme suivante :

    Lacoste est mort ! il vaque dans Toulon
    Pac ce trépas un emploi d’importance ;
    Ce bénéfice exige résidence,
    Et tout Paris y nomme Jean Fréron.

    — R.