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Carlin[1] passe pour être un très-grand Arlequin : il est fait pour dérider les fronts nébuleux ; on lui trouve de la fécondité, beaucoup de variété dans ses lazzis, une souplesse étonnante dans son jeu ; il provoque, malgré qu’on en ait, la grosse gaieté, mais c’est un Arlequin.

De Hesse est acteur, valet du premier ordre ; il entend d’ailleurs à merveille la chorégraphie. Nous trouvons dans Rochard un chanteur agréable ; il a de la propreté, du goût ; il joue quelques rôles passablement. Laruette répare à force d’art la nature la plus ingrate, c’est un musicien consommé. On désirerait encore entendre Clairval sur le théâtre de l’Opéra-Comique ; son filet de voix se perd sur celui des Italiens : on en voit assez pour regretter qu’il n’en puisse pas faire entendre davantage. Le robuste Audinot rend au naturel la grossièreté des mœurs du peuple. Tous ces talens divers sont éclipsés par celui de Caillot ; c’est un comédien qui a toutes les qualités, à la noblesse près. Sa voix embrasse tous les genres ; elle se monte à tous les tons ; elle vaut un orchestre entier : il est principalement fait pour la parodie.

Madame Favart a été long-temps l’héroïne des Italiens, apparemment parce qu’elle n’était point surpassée par d’autres. En général, elle est médiocre, elle-a la voix aigre, manque de noblesse, et substitue la finesse à la naïveté, les grimaces à l’enjouement, enfin l’art à la nature. On a beaucoup applaudi au début de mademoi-

  1. Charles-Antoine Bertinazzi, dit Carlin, né à Turin vers 1713, mort le 7 septembre 1783. Il passait pour avoir été à l’école avec Laurent Ganganelli, depuis pape sous le nom de Clément XIV. On prétendit que la profession si différente des deux anciens camarades n’empêcha point le souverain pontife d’entretenir une correspondance suivie avec Arlequin. Cette donnée, vraie ou fausse, a inspiré à un homme d’esprit l’idée d’une Correspondance inédite entre Clément XIV et Carlo Bertinazzi, Paris, 1826, 2 vol. in-12 ; 1827, in-8o. — R.