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corps femmelins, âmes de femmes dans des carcasses de cyclopes.

C’est à cette époque qu’on eut l’idée d’une réunion mensuelle où les amis se rencontreraient autour d’une bonne table ; cela s’appela « le dîner Flaubert », ou « le dîner des auteurs sifflés ». Flaubert en était pour l’échec de son Candidat, Zola avec Bouton de Rose, Goncourt avec Henriette Maréchal, moi pour mon Arlésienne. Girardin voulut se glisser dans notre bande ; ce n’était pas un littérateur, on l’élimina. Quant à Tourguéneff, il nous donna sa parole qu’il avait été sifflé en Russie, et, comme c’était très loin, on n’y alla pas voir.

Rien de délicieux comme ces dîners d’amis, où l’on cause sans gêne, l’esprit éveillé, les coudes sur la nappe. En gens d’expérience, nous étions tous gourmands. Par exemple, autant de gourmandises que de tempéraments, de recettes que de provinces. Il fallait à Flaubert des beurres de Normandie et des canards rouennais a l’étouffade ; Edmond de Goncourt, raffiné, exotique, réclamait des confitures de gingembre ; Zola, les oursins