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menant sa face triste et souffreteuse et son long corps de squelette drapé dans un manteau court.

Cressot était l’auteur d’Antonia, poème. De quoi vivait ce pauvre Gringoire ? Personne ne le savait. Un beau jour, un ami de province lui laissa par testament une petite rente : ce jour-là Cressot mangea et en mourut.

Une autre physionomie de cette époque est gravée dans ma mémoire, celle de Jules de la Madelène, un des meilleurs poetæ minores de notre littérature en prose, l’auteur trop peu connu de créations qui excellent par une beauté de lignes véritablement antique : les Âmes en peine et le Marquis de Saffras. Des manières aristocratiques, une tête blonde rappelant le Christ du Tintoret, des traits fins et un peu maladifs, des yeux pleins de tristesse et pleurant le soleil de la Provence, son pays. On se racontait son histoire à l’oreille ; — celle d’un enthousiaste et d’un vaillant de bonne race. En juin 1848, blessé sur les barricades, on l’avait laissé pour mort dans les rangs des insurgés. Ra-