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balthazar.

Pourquoi partir, alors ? Fais ce que le nôtre a fait. Renonce à cette femme, et marie-toi.

le gardien.

Je ne peux pas… Elle est si belle !

frédéri, bondissant.

Je ne le sais que trop, qu’elle est belle, misérable… Mais quel besoin avais-tu de venir me le rappeler ? (Avec un rire de rage.) Un paysan !… C’était un paysan comme moi !… (Marchant vers lui.) Ah ! mon bonheur te fait envie, et c’est en sortant de ses bras que tu viens me le dire, quand tu as encore sur ta bouche ses baisers de la dernière nuit. Mais tu ne sais donc pas que, pour un de ces moments de passion dont tu me parles, pour une minute de ta vie à toi, je donnerais toute la mienne, tout mon paradis pour une heure de ton enfer… Maudit sois-tu d’être venu, maquignon de malheur !… C’est encore pis que de l’avoir vue elle-même… tu me rapportes avec son haleine l’horrible amour dont j’ai manqué de mourir. Maintenant, c’est fini, je suis perdu. Et pendant que tu courras les routes avec ton amoureuse, il y aura ici des femmes en larmes… Mais non ! ce n’est pas possible, cela ne sera pas. (Sautant sur un des gros marteaux avec lesquels on a planté les mais.) Allons, défends-toi, bandit, défends-toi, que je te tue, je ne veux pas mourir seul. (Le gardien recule. — Toute cette scène est presque couverte par le bruit des tambourins qui arrivent.)

balthazar, se jetant sur Frédéri.

Malheureux, que vas-tu faire ?