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« Ce n’est pas qu’il y en ait beaucoup, mais on pourrait vous en faire voir tout de même.

— C’est lui en faire tirer, qu’il faudrait, vé !… dit Pascalon plein d’enthousiasme… jamais le président n’a manqué son coup. »

Tartarin regretta de n’avoir pas apporté sa carabine.

« Attendez donc, je vais parler au patron. »

Il se trouva justement que le patron était un ancien chasseur de chamois ; il offrit son fusil, sa poudre, ses chevrotines et même de servir de guide à ces messieurs vers un gîte qu’il connaissait.

« En avant, zou ! » fit Tartarin, cédant à ses alpinistes heureux de faire briller l’adresse de leur chef. Un léger retard, après tout ; et la Jungfrau ne perdait rien pour attendre !…

Sortis de l’auberge par derrière, ils n’eurent qu’à pousser la claire-voie du verger, guère plus grand qu’un jardinet de chef de gare, et se trouvèrent dans la montagne fendue de grandes crevasses rouillées entre les sapins et les ronces.

L’aubergiste avait pris l’avance et les Tarasconnais le voyaient déjà très haut, agitant les bras, jetant des pierres, sans doute pour faire lever la bête. Ils eurent beaucoup de mal à le rejoindre par ces pentes rocailleuses et dures, surtout pour des personnes qui sortent de table et qui n’ont pas plus l’habitude de gravir que les bons alpinistes de Tarascon. Un air lourd, avec cela, une haleine orageuse qui roulait des nuages lentement le long des cimes, sur leur tête.

« Boufre ! » geignait Bravida.

Excourbaniès grognait :

« Outre !

— Que vous me feriez dire… » ajoutait le doux et bêlant Pascalon.

Mais le guide leur ayant, d’un geste brusque, intimé l’ordre de se taire, de ne plus bouger : « On ne parle pas sous les armes », dit Tartarin de Tarascon avec une sévérité dont chacun prit sa part, bien que le président seul fût armé. Ils restaient là debout, retenant leur souffle ; tout à coup Pascalon cria :

« Vé ! le chamois, …… »

À cent mètres au-dessus d’eux, les cornes droites, la robe d’un fauve clair, les quatre pieds réunis au bord du rocher