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son plus beau livre…

Immobile, le dos tendu, Gaussin écoutait, aspirant à tout petits coups par une longue paille la boisson glacée servie devant lui. Quelque poison, bien sûr, qu’on lui avait versé là, et qui le gelait du cœur aux entrailles.

Il grelottait malgré l’heure splendide, voyait dans une reculée blafarde des ombres qui allaient et venaient, un tonneau d’arrosage arrêté devant la Madeleine, et cet entrecroisement de voitures roulant sur la terre molle silencieusement comme sur de la ouate. Plus de bruit dans Paris, plus rien que ce qui se disait à cette table. Maintenant Déchelette parlait, c’est lui qui versait le poison :

— Quelle atroce chose que ces ruptures… Et sa voix tranquille et railleuse prenait une expression de douceur, de pitié infinie… On a vécu des années ensemble, dormi l’un contre l’autre, confondu ses rêves, sa sueur. On s’est tout dit, tout donné. On a pris des habitudes, des façons d’être, de parler, même des traits l’un de l’autre. On se tient de la tête aux pieds… Le collage enfin !… Puis