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LE TRÉSOR D’ARLATAN

théâtre dans la crèche d’Arlatan et le relent de la manade. Deux jours en plein pâturage avec ce vacher, fallait-il qu’elle eût le goût du fauve ! Oh ! s’en aller en compagnie des pâtres, — rester étendu tout le jour et sentir bon la menthe sauvage

Il ferma le livre avec colère et se dit qu’il valait mieux dormir. Mais le lit nous rend si imaginatifs et si lâches. À peine étendu, il fut repris d’incertitude. Tant d’autres étrangères devaient se trouver aux arènes d’Arles, ce jour de fête. Pourquoi vouloir que ce fût celle-là précisément ? Arlatan ne lui avait jamais parlé d’une actrice… De toutes les preuves accumulées il n’y a qu’un instant, pas une à présent ne tenait debout. Mais, la minute d’après, tous les soupçons revenus faisaient dans sa tête, sous ses tempes, la rumeur, le battement d’ailes noires d’un hourra de corbeaux arrivant à la fois de tous les côtés du ciel. Elle, c’était Elle ; et une sueur de glace l’inondait.

La nuit se passa dans ces transes fiévreuses, compliquées de cette idée plus torturante que tout : « La preuve est près de moi, je n’aurais qu’à faire un pas pour l’avoir. » Supplice si aigu, si lancinant, que deux ou trois fois il sauta du lit en se disant « j’y vais », entr’ouvrit la porte et, ne voyant pas la moindre clarté sous le ciel, vint reprendre sa veillée horizontale dans les ténèbres et le rongement.