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LE TRÉSOR d’ARLATAN

Montmajour, il y a cinq ou six ans : c’est la fille d’un de nos ménagers en terre de Crau, et je me souviens de vos cris d’admiration, un dimanche de ferrade, de course de taureaux, en la voyant arriver à cheval dans le rond, les fers au poing, ses beaux cheveux roux tordus sous sa petite coiffe d’Arles. Vous serez sans doute bien aise de la revoir. À part le ménage Charlon, pas un voisin, pas une âme ; il y a bien un gardien de chevaux, logé vers l’étang du Vacarès, mais le Vacarès est à une bonne lieue de la Cabane, et d’ailleurs, chez ce gardien, pas plus que près de Naïs et de Charlon, vous n’entendrez jamais prononcer le nom de Madeleine, personne ne vous parlera d’elle, rien ne vous rappellera son image. Moi-même, je n’irai vous voir que si vous me faites signe ; il faut que l’expérimentation soit complète.

Entre nous, mon cher petit, je n’ai qu’une demi-confiance dans ce traitement par la solitude et l’oubli. N’est-ce pas au désert que Jésus fut le plus violemment tenté et tourmenté ? Aussi, munissez-vous, même là-bas, de vouloir et de fermeté ; et, si vous sentez venir le péril, faites comme les bœufs en Camargue, les jours d’ouragan. Ils se serrent entre eux, toutes les têtes baissées et tournées du côté de la bise. Nos bergers provençaux appellent cette manœuvre : vira la bano au gisclo, tourner la