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ROSE ET NINETTE

vue. Et pensez cette joie, cette fierté d’entendre, dans une belle avant-scène, les premiers acteurs de Paris jouer devant la salle comble une pièce dont votre père est l’auteur !

Ce n’est pas Mme Ravaut, même avec la collaboration de Mademoiselle, qui aurait pu leur donner une distraction pareille. Après le théâtre, promenade en voiture au Bois et dîner dans un restaurant à la mode. Encore un plaisir que la mère n’aurait pu leur procurer, à moins d’être accompagnées par « cousin ». Oh ! l’ivresse de commander soi-même au garçon des plats extraordinaires et d’entendre aux tables voisines chuchoter curieusement, avec cet attrait de Paris pour l’homme en vedette : « Régis de Fagan et ses deux filles. » Puis, la nuit tombée, par les allées du Bois odorantes et désertes, dans la fraîcheur des lacs blêmis, s’en revenir serrées contre leur père, regagner Passy et le boulevard Beauséjour où les attendrait la voiture de Mademoiselle, voilà ce qu’on pourrait appeler une belle journée !

Le programme étalé de tous ces bonheurs, joint à l’animation du repas, rosait d’une chaude flamme les pommettes de ces petites Parisiennes pâlottes. De la fenêtre entr’ouverte montaient des parfums de muguets et de roses. Un merle s’égosillait à la cime d’un grand vieux orme ; et, Ninette s’approchant de la croisée pour essayer de le découvrir dans les branches voisines, une