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gare, à la buvette, fait trembler la toiture en vitrage des salons de photographie où se réunissent toutes les droites. On ne voit que sa silhouette remuante et lourde, sa grosse tête toujours en rumeur, la houle de ses larges épaules redoutées du ministère qu’il est en train de « tomber » selon les règles, en souple et vigoureux lutteur du Midi. Ah ! le ciel bleu, les tambourins, les cigales, tout le décor lumineux des vacances, comme il est loin, fini, démonté ! Numa n’y songe pas une minute, pris dans le tourbillon de sa double vie d’avocat et d’homme politique ; car, à l’exemple de son vieux maître Sagnier, en entrant à la Chambre, il n’a pas renoncé au Palais, et tous les soirs, de six à huit heures, on se presse à la porte de son cabinet de la rue Scribe.

Vous diriez une légation, ce cabinet de Roumestan. Le premier secrétaire, bras droit du leader, son conseil, son ami, est un excellent avocat d’affaires, appelé Méjean, Méridional comme tout l’entourage de Numa, mais du Midi Cévenol, le Midi des pierres, qui tient plus de l’Espagne que de l’Italie et garde en ses allures, en ses paroles, la prudente réserve et le bon sens pratique de Sancho. Trapu, robuste, déjà chauve, avec le teint bilieux des grands travailleurs, Méjean fait à lui seul toute la besogne du cabinet, déblaie les dossiers, prépare les discours, cherche à mettre des faits sous les phrases sonores de son ami, de son futur beau-frère, disent les bien informés. Les autres secrétaires, MM. de Rochemaure et de Lappara, deux jeunes stagiaires apparentés à la plus ancienne noblesse provinciale, ne sont là que pour la montre, et