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monde, Rosalie n’aurait voulu se priver de cette joie, n’aurait permis qu’une autre mit la main à l’œuvre gigantesque entreprise depuis cinq mois, depuis qu’elle avait été sûre de son bonheur. Là-bas, à Orsay, sur le banc où elle travaillait dans l’ombre d’un grand catalpa, c’était un étalage de petits bonnets qu’on essayait sur le poing, de petites robes de flanelle, de brassières qui, avec leurs manches droites, figuraient la vie et les gestes gourds de la toute petite enfance… Et justement ce modèle qui manquait.

« Envoie ta femme de chambre… » disait la mère… La femme de chambre, allons donc !… Est-ce qu’elle saurait ?… « Non, non, j’y vais moi-même… Je ferai mes emplettes avant midi… Puis j’irai surprendre Numa et manger la moitié de son déjeuner. »

L’idée de ce repas de garçon avec son mari dans l’appartement de la rue Scribe à demi fermé, les rideaux enlevés, les housses sur les meubles, l’amusait comme une escapade. Elle en riait toute seule, en montant – ses courses faites – l’escalier sans tapis de la maison parisienne en été, et se disait, mettant avec précaution la clef dans la serrure pour le surprendre : « J’arrive un peu tard…Il aura déjeuné. »

Il ne restait plus, en effet, dans la salle à manger, que les débris d’un petit festin gourmand à deux couverts, et le valet de chambre en jaquette à carreaux installé devant la table, en train de vider les bouteilles et les plats. Elle ne vit rien d’abord que sa partie manquée, par sa faute. Ah ! si elle n’avait