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est tellement convaincu de l’infériorité de la femme qu’une fois marié, sûr de son bonheur, il s’y installe en maître, en pacha, acceptant l’amour comme un hommage, et trouvant que c’est déjà bien beau ; car enfin, d’être aimé, cela prend du temps, et Numa était très occupé, avec le nouveau train de vie que nécessitaient son mariage, sa grande fortune, la haute situation au Palais du gendre de Le Quesnoy.

Les cent mille francs de la tante Portal avaient servi à payer Malmus, le tapissier, à passer l’éponge sur cette navrante et interminable vie de garçon, et la transition lui sembla double, de l’humble frichti sur la banquette de velours élimé, près de l’ancienne à tous, à la salle à manger de la rue Scribe, où il présidait, en face de son élégante petite Parisienne, les somptueux dîners qu’il offrait aux princes de la basoche et du chant. Le Provençal aimait la vie brillante, le plaisir gourmand et fastueux ; mais il l’aimait surtout chez lui, sous la main, avec cette pointe de débraillé qui permet le cigare et l’histoire salée. Rosalie accepta tout, s’accommoda de la maison ouverte, de la table mise à demeure, dix, quinze convives tous les soirs, et rien que des hommes, des habits noirs, parmi lesquels sa robe claire faisait tache, jusqu’au moment où, le café servi, les boîtes de havanes ouvertes, elle cédait la place aux discussions politiques, aux rires lippus d’une fin de dîner de garçons.

Les maîtresses de maison seules savent ce qu’un décor pareil, installé tous les jours, cache de dessous compliqués, de difficultés de service. Rosalie