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hurlements de cannibales autour du poteau de guerre.

— Oh ! ce Midi… ce Midi !… répétait la jeune mère épouvantée. Elle tremblait qu’on lui étouffât son petit dans la bagarre.

Mais non. Le voici, bien vivant, superbe, remuant ses petits bras courts, les yeux tout grands, dans la longue robe de baptême dont Rosalie a brodé les festons, cousu les dentelles elle-même, la robe de l’autre ; et ce sont ses deux garçons en un, le mort et le vivant, qu’elle possède à cette heure.

— Il n’a pas fait un cri, ni tété une fois de toute la route affirme tante Portal qui raconte à sa manière imagée le triomphant tour de ville, pendant que les portes battent dans le vieil hôtel redevenu la maison aux ovations, que les domestiques courent sous le porche où l’on sert de la « gazeuse » aux musiciens. Des fanfares éclatent, les vitres tremblent. Les vieux Le Quesnoy sont descendus dans le jardin loin de cette joie qui les navre ; et comme Roumestan va parler au balcon, tante Portal, l’Anglaise Polly passent vite dans le salon, pour l’entendre.

— Si Madame voulait ben tenir le petit ! demande la Nounou curieuse comme une sauvage, et Rosalie est tout heureuse de rester seule, son enfant sur les genoux. De sa fenêtre elle voit étinceler les bannières dans le vent, la foule serrée, tendue à la parole de son grand homme. Des mots du discours lui arrivent par échappées ; mais elle entend surtout le timbre de cette voix prenante, émouvante, et un frisson douloureux lui passe au