Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/336

Cette page n’a pas encore été corrigée

maigres oliviers blanchissaient parmi des pins. Ce fut un apaisement dans tout l’être sensitif du Méridional, un changement de pôle pour ses idées. Il regrettait d’avoir été si dur envers Lappara. Briser ainsi l’avenir de ce pauvre garçon, désoler toute une famille, et pourquoi ? « Une foutaise, allons ! » comme disait Bompard. Il n’y avait qu’une façon de réparer cela, d’enlever à cette sortie du ministère son apparence de disgrâce : la croix. Et le ministre se mit à rire à l’idée du nom de Lappara à l’Officiel avec cette mention : services exceptionnels. C’en était bien un, après tout, que d’avoir délivré son chef de cette liaison dégradante.

Orange !… Montélimar et son nougat !… Les voix vibraient, soulignées de gestes vifs. Les garçons de buffet, marchands de journaux, gardes-barrières se précipitaient, les yeux hors de la tête. C’était bien un autre peuple que trente lieues plus haut ; et le Rhône, le large Rhône, vagué comme une mer, étincelait sous le soleil dorant les remparts crénelés d’Avignon dont les cloches, en branle depuis Rabelais, saluaient de leurs carillons clairs le grand homme de la Provence. Numa s’attablait au buffet devant un petit pain blanc, une croustade, une bouteille de ce vin de la Nerte mûri entre les pierres, capable de donner l’accent des garrigues même à un Parisien.

Mais où l’air natal le ragaillardit le mieux, ce fut lorsque ayant quitté la grande ligne, à Tarascon, il prit place dans le petit chemin de fer patriarcal à une seule voie, qui pénètre en pleine Provence