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pour voir dévorer le dompteur. L’interpellation Rougeot fut réduite en miettes, le Midi séduisit le Nord, la Gaule fut encore une fois conquise, et lorsque Roumestan redescendit, moulu, trempé, sans voix, il eut l’orgueil de voir son parti tout à l’heure si froid, presque hostile, ses collègues du cabinet qui l’accusaient de les compromettre, l’entourer d’acclamations, de flatteries enthousiastes. Et dans l’ivresse du succès lui revenait toujours, comme une délivrance suprême, le désistement de sa femme.

Il se sentait allégé, dispos, expansif, si bien qu’en rentrant à Paris l’idée lui vint de passer rue de Londres. Oh seulement en ami, pour rassurer cette pauvre enfant aussi inquiète que lui des suites de l’interpellation et qui supportait leur mutuel exil avec tant de courage, lui envoyait de sa naïve écriture séchée de poudre de riz de bonnes petites lettres où elle lui racontait sa vie jour par jour, l’exhortait à la patience, à la prudence :

« Non, non, ne viens pas, pauvre cher… Écris-moi, pense à moi… Je serai forte. »

Justement l’Opéra ne jouait pas ce soir-là, et pendant le court trajet de la gare à la rue de Londres, tout en serrant dans sa main la petite clef qui l’avait plus d’une fois tenté depuis quinze jours, Numa pensait :

— Comme elle va être heureuse !

La porte ouverte, refermée sans bruit, il se trouva tout à coup dans l’obscurité ; on n’avait pas allumé le gaz. Cette négligence donnait à la petite maison un aspect de deuil, de veuvage, qui le flatta.