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trois faillites ; et Roumestan avait bien plus envie de tomber à coups de poing sur ce montreur cynique dont la nomination lui causait de si graves embarras, que d’écouter sa belle allocution démentie par la blague féroce du regard et de lui répondre un compliment forcé dont la moitié restait dans l’empois de sa cravate :

« Très touché, messieurs… mn mn mn… progrès de l’art… mn mn mn ferons mieux encore… »

Et le monteur, en s’en allant :

« Il a du plomb dans l’aile, notre pauvre Numa… »

Ceux-là partis, le ministre et ses assesseurs faisaient honneur à la collation habituelle ; mais ce déjeuner, si gai l’année précédente et plein d’effusion, se ressentait de la tristesse du patron et de la mauvaise humeur des familiers qui lui en voulaient tous un peu de leur situation compromise. Ce scandaleux procès, tombant juste au milieu du débat Cadaillac, allait rendre Roumestan impossible au cabinet ; le matin même, à la réception de l’Élysée, le maréchal en avait dit deux mots dans sa brutale et laconique éloquence de vieux troupier :

« Une sale affaire, mon cher ministre, une sale affaire… » Sans connaître précisément cette auguste parole, chuchotée à l’oreille dans une embrasure, ces messieurs voyaient venir leur disgrâce derrière celle de leur chef.

« Ô femmes ! femmes ! » grognait le savant Béchut dans son assiette. M. de la Calmette et ses trente ans de bureau se mélancolisaient en songeant à la retraite comme Tircis ; et tout bas le