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aux portes du salon ; car il était tard, une heure passée, et chacun songeait au déjeuner de famille qui l’attendait.

Dans la salle des concerts, transformée en vestiaire, des groupes s’impatientaient à regarder leurs montres, boutonner leurs gants, rajuster leurs cravates blanches sous des faces tirées, des bâillements d’ennui, de mauvaise humeur et de faim. Roumestan, lui aussi, sentait la fatigue de ce grand jour. Il avait perdu sa belle chaleur de l’année dernière à pareille époque, sa foi dans l’avenir et les réformes, laissait aller ses speech mollement, pénétré de froid jusqu’aux moelles malgré les calorifères, l’énorme bûcher flambant ; et cette petite neige floconnante, qui tourbillonnait aux vitres, lui tombait sur le cœur légère et glacée comme sur la pelouse du jardin.

« Messieurs de la Comédie-Française !… »

Rasés de près, solennels, saluant ainsi qu’au grand siècle, ils se campaient en nobles attitudes autour de leur doyen qui, d’une voix caverneuse, présentait la Compagnie, parlait des efforts, des vœux de la Compagnie, la Compagnie sans épithète, sans qualificatif, comme on dit Dieu, comme on dit la Bible, comme s’il n’existait d’autre Compagnie au monde que celle-là ; et il fallait que le pauvre Roumestan fût bien affaissé, pour que même cette Compagnie, dont il semblait faire partie avec son menton bleu, ses bajoues, ses poses d’une distinction convenue, ne réveillât son éloquence à grandes phrases théâtrales.

C’est que depuis huit jours, depuis le départ de