Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/303

Cette page n’a pas encore été corrigée

s y mêlait contre elle-même si faible, si lâche d’avoir pu pardonner, contre lui qui l’avait trompée au mépris des promesses, des serments de la faute passée. Elle aurait voulu le convaincre, là, tout de suite ; mais il était à Versailles, à la Chambre. L’idée lui vint d’appeler Méjean, puis il lui répugna d’obliger cet honnête homme à mentir. Et réduite à étouffer toute une violence de sentiments contraires, pour ne pas crier, se livrer à la terrible crise de nerfs qu’elle sentait l’envahir, elle marchait çà et là sur le tapis, les mains – par une pose familière – à la taille lâchée de son peignoir. Tout à coup elle s’arrêta, tressaillit d’une peur folle.

Son enfant !

Il souffrait, lui aussi, et se rappelait à sa mère de toute la force d’une vie qui se débat. Ah ! mon Dieu, s’il allait mourir, celui-là, comme l’autre…au même âge de la grossesse, dans des circonstances pareilles… Le destin, que l’on dit aveugle, a parfois de ces combinaisons féroces. Et elle se raisonnait en mots entrecoupés, en tendres exclamations « cher petit… pauvre petit…, » essayait de voir les choses froidement, pour se conduire avec dignité et surtout ne pas compromettre ce seul bien qui lui restait. Elle prit même un ouvrage, cette broderie de Pénélope que garde toujours en train l’activité de la Parisienne ; car il fallait attendre le retour de Numa, s’expliquer avec lui ou plutôt saisir dans son attitude la conviction de la faute, avant l’éclat irrémédiable d’une séparation.