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elle l’entraînait dans l’enceinte du milieu, où tout au fond, tenant la place du chœur dans une église, le théâtre se dressait sous d’intermittentes flammes électriques tombant de deux hublots globuleux, là-haut, dans les frises, les deux yeux à jaillissures lumineuses d’un Père Éternel sur les images de sainteté.

Ici l’on se reposait du scandale tumultueux des promenoirs. Dans les stalles, des familles de petits bourgeois, de fournisseurs du quartier. Peu de femmes. On aurait pu se croire dans une salle de spectacle quelconque, sans l’horrible vacarme ambiant que surmontait toujours avec un roulement régulier d’obsession le patinage sur l’asphalte, couvrant même les cuivres, même les tambours de l’orchestre, rendant seulement possible la mimique des tableaux vivants.

Le rideau se baissait à ce moment sur une scène patriotique, le lion de Belfort, énorme, en carton-pâte, entouré de soldats dans des poses triomphantes sur des remparts croulés, les képis au bout des fusils, suivant la mesure d’une inentamable Marseillaise. Ce train, ce délire excitaient la Provençale ; les yeux lui sortaient de la tête, et tout en installant Hortense :

« Nous sommes bien, qué ? Mais rélévez donc votre voile… tremblez donc pas… vous tremblez… Il y a pas de risque avé moi. »

La jeune fille ne répondait rien, poursuivie de cette lente promenade outrageante, où elle s’était confondue, au milieu de tous ces masques blafards. Et voilà qu’en face d’elle, elle les retrouvait, ces