Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/263

Cette page n’a pas encore été corrigée

au-dessus de cette pauvre ignorante, pour l’humilier surtout en songeant aux responsabilités de Numa. Alors, avec tout l’esprit de son cœur, toute sa délicatesse, de ces mots de vérité qui guérissent en brûlant un peu, elle essaya de lui faire comprendre que son frère n’avait pas réussi, qu’il ne réussirait jamais dans ce Paris implacable, et que plutôt que de s’acharner à une lutte humiliante, descendue dans les bas-fonds artistiques, ils feraient bien mieux de retourner au pays, de racheter leur maison, toutes choses dont on leur fournirait les moyens, et d’oublier dans leur vie laborieuse, en pleine nature, les déboires de cette malheureuse expédition.

La paysanne la laissa aller jusqu’au bout, sans une fois l’interrompre, dardant seulement sur Hortense l’ironie de ses yeux mauvais comme pour l’exciter à la réplique. Enfin, voyant que la jeune fille ne voulait rien dire encore, elle déclara froidement qu’ils ne s’en iraient pas, que son frère avait à Paris des engagements de toute sorte… de toute sorte… auxquels il lui était impossible de manquer. Là-dessus elle jeta sur son bras la lourde mante humide, restée au dos d’une chaise, fit une révérence hypocrite à Rosalie : « Bien le bonjour, madame… Et merci, au moins. » Et s’éloigna suivie d’Hortense.

Dans l’antichambre, baissant la voix à cause du service :

— Dimanche soir, qué ?… Dix heures et demie, sans faute.

Et, pressante, autoritaire :

— Vous lui devez bien ça, voyons, à ce pauvre ami…