Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/225

Cette page n’a pas encore été corrigée

à fond l’élevage des autruches, ayant habité longtemps Cap-town. Et les récits du religieux, ses voyages, son martyre, les différentes façons dont il avait été torturé en des pays divers, ce corps robuste de boucanier, brûlé, scié, roué, carte d’échantillon des raffineries de la cruauté humaine, tout cela avec le frais éventail rêvé des plumes soyeuses et chatoyantes, intéressait autrement l’imaginatif Bompard que l’histoire de la petite Bachellery ; mais il était si bien dressé à son métier de suiveur que, même à cette heure-là, Numa le trouvait prêt à s’attendrir, à s’indigner avec lui, donnant à sa noble tête, sous les pointes d’un foulard de nuit, des expressions de colère, d’ironie, de douleur, selon qu’il s’agissait des faux cils de l’artificieuse petite, de ses seize ans qui en valaient bien vingt-quatre, ou de l’immoralité de cette mère prenant sa part de scandaleuses orgies. Enfin quand Roumestan, ayant bien déclamé, gesticulé, montré à nu la faiblesse de son cœur amoureux, éteignait sa bougie : « Essayons de dormir… Allons… » Bompard profitait de l’obscurité pour lui dire avant d’aller se coucher :

— Moi, à ta place, je sais bien ce que je ferais…

— Quoi ?

— Je renouvellerais le traité de Cadaillac.

— Jamais !

Et violemment il s’enfonçait dans ses couvertures pour se garantir contre le tapage du dessus.

Une après-midi, à l’heure de la musique, l’heure coquette et bavarde de la vie de bains, pendant que tous les baigneurs, pressés devant l’établissement