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tout en choisissant son cigare d’après déjeuner, guettait sur cette calme physionomie une désapprobation, un contrôle à la manière un peu hasardée dont ces premières invitations avaient été faites.

Mais Rosalie ne demandait rien. Tous ces apprêts lui étaient bien indifférents. Depuis leur installation au ministère, elle se sentait encore plus loin de son mari, séparée par des obligations incessantes, un personnel trop nombreux, une largeur d’existence qui détruisait l’intimité. À cela venait s’ajouter le regret toujours navré de n’avoir pas d’enfant, de ne pas entendre autour d’elle ces petits pas infatigables, ces bons rires craquants et sonores qui auraient enlevé à leur salle à manger ce glacial aspect d’une table d’hôtel, où ils semblaient ne s’asseoir qu’en passant, avec l’impersonnalité du linge, mobilier, argenterie, tout le garni somptueux des situations publiques.

Dans le silence embarrassé de cette fin de repas arrivaient des sons étouffés, des bouffées d’harmonie scandées par des bruits de marteaux, les tentures, l’estrade que l’on clouait en bas pour le concert, pendant que les musiciens répétaient leurs morceaux. La porte s’ouvrit. Le chef de cabinet entra, des papiers à la main :

— Encore des demandes !…

Roumestan s’emporta. Ça, non, par exemple ! ce serait le pape, il n’y avait plus une place à donner. Méjean, sans s’émouvoir, posa devant lui un paquet de lettres, cartes, billets parfumés :

— Il est bien difficile de refuser… vous avez promis…