Page:Daudet - Lettres de mon moulin.djvu/269

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
À MILIANAH.

plein air — une forte odeur de cuir humain. Passons vite… Dans le bureau, je trouve l’interprète aux prises avec deux grands braillards entièrement nus sous de longues couvertures crasseuses, et racontant d’une mimique enragée je ne sais quelle histoire de chapelet volé. Je m’assieds sur une natte dans un coin, et je regarde… Un joli costume, ce costume d’interprète ; et comme l’interprète de Milianah le porte bien ! Ils ont l’air taillés l’un pour l’autre. Le costume est bleu de ciel avec des brandebourgs noirs et des boutons d’or qui reluisent. L’interprète est blond, rose, tout frisé ; un joli hussard bleu plein d’humour et de fantaisie ; un peu bavard, — il parle tant de langues ! un peu sceptique, il a connu Renan à l’école orientaliste ! — grand amateur de sport, à l’aise au bivouac arabe comme aux soirées de la sous-préfète, mazurkant mieux que personne, et faisant le cousscouss comme pas un. Parisien, pour tout dire ; voilà mon homme, et ne vous étonnez pas que les dames en raffolent… Comme dandysme, il n’a