Page:Daudet - Lettres de mon moulin.djvu/266

Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
LETTRES DE MON MOULIN.

bouffies, raides comme des idoles de bois dans leurs robes plates à plastron d’or, le visage entouré de bandelettes noires, vont d’un groupe à l’autre en miaulant… Au moment où j’arrive, un grand mouvement se fait dans la foule. On s’empresse, on se précipite… Appuyé sur ses témoins, le juif — héros de l’aventure — passe entre deux haies de casquettes, sous une pluie d’exhortations :

— Venge-toi, frère, venge-nous, venge le peuple juif. Ne crains rien ; tu as la loi pour toi.

Un affreux nain, puant la poix et le vieux cuir, s’approche de moi d’un air piteux, avec de gros soupirs :

— Tu vois ! me dit-il. Les pauvres juifs, comme on nous traite ! C’est un vieillard ! regarde. Ils l’ont presque tué.

De vrai, le pauvre Iscariote a l’air plus mort que vif. Il passe devant moi, — l’œil éteint, le visage défait ; ne marchant pas, se traînant… Une forte indemnité est seule capable de le guérir ; aussi ne le mène-t-on