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L’AGONIE DE LA SÉMILLANTE.

bine… Au bout d’un moment, il vient reprendre sa place sur la dunette, — en grand costume… Il a voulu se faire beau pour mourir.

Dans l’entre-pont, les soldats, anxieux, se regardent, sans rien dire… Les malades essayent de se redresser… le petit brigadier ne rit plus… C’est alors que la porte s’ouvre et que l’aumônier paraît sur le seuil avec son étole :

— À genoux, mes enfants !

Tout le monde obéit. D’une voix retentissante, le prêtre commence la prière des agonisants.

Soudain un choc formidable, un cri, un seul cri, un cri immense, des bras tendus, des mains qui se cramponnent, des regards effarés où la vision de la mort passe comme un éclair…

Miséricorde !…

C’est ainsi que je passai toute la nuit à rêver, évoquant, à dix ans de distance, l’âme du pauvre navire dont les débris m’entouraient… Au loin, dans le détroit,