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L’AGONIE DE LA SÉMILLANTE.

vent, de la pluie, la mer énorme comme on ne l’avait jamais vue… Le matin, le vent tomba un peu, mais la mer était toujours dans tous ses états, et avec cela une sacrée brume du diable à ne pas distinguer un fanal à quatre pas… Ces brumes-là, monsieur, on ne se doute pas comme c’est traître… Ça ne fait rien, j’ai idée que la Sémillante a dû perdre son gouvernail dans la matinée ; car, il n’y a pas de brume qui tienne, sans une avarie, jamais le capitaine ne serait venu s’aplatir ici contre. C’était un rude marin, que nous connaissions tous. Il avait commandé la station en Corse pendant trois ans, et savait sa côte aussi bien que moi, qui ne sais pas autre chose.

— Et à quelle heure pense-t-on que la Sémillante a péri ?

— Ce doit être à midi ; oui, monsieur, en plein midi… Mais dame ! avec la brume de mer, ce plein midi-là ne valait guère mieux qu’une nuit noire comme la gueule d’un loup… Un douanier de la côte m’a raconté que ce jour-là, vers onze heures et demie,