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un mouvement indigné, ouvertement injurieux… Le malheureux, mis au pilori sur son propre théâtre ! Un pilori qui lui coûtait si cher !… Cette fois, il n’essaya pas de se soustraire à l’affront, se planta résolument les bras croisés et brava cette foule qui le regardait, ces centaines de visages levés et ricaneurs, ce vertueux Tout-Paris qui le prenait pour bouc émissaire et le chassait après l’avoir chargé de tous ses crimes.

Joli monde vraiment pour une manifestation pareille ! En face, une loge de banquiers faillis, la femme et l’amant l’un près de l’autre au premier rang, le mari dans l’ombre, effacé et grave. À côté, le trio fréquent d’une mère qui a marié sa fille selon son propre cœur et pour se faire un gendre de l’homme qu’elle aimait. Puis des ménages interlopes, des filles étalant le prix de la honte, des diamants en cercles de feu rivés autour des bras et du cou comme des colliers de chien, se bourrant de bonbons qu’elles avalaient brutalement, bestialement, parce qu’elles savent que l’animalité de la femme plaît à ceux qui la paient. Et ces groupes de gandins efféminés, le col ouvert, les sourcils peints, dont on admirait à Compiègne, dans les chambres d’invités, les chemises de batiste brodées et les corsets de satin blanc ; ces mignons du temps d’Agrippa, s’appelant entre eux : « Mon cœur… Ma chère belle… » Tous les scandales, toutes les turpitudes, consciences vendues ou à vendre, le vice d’une époque sans grandeur, sans originalité, essayant les travers de toutes les autres et jetant à Bullier cette duchesse, femme de ministre, rivale des plus éhontées danseuses de l’endroit. Et c’étaient ces gens-là qui le repoussaient, qui lui criaient : « Va-t’en… tu es indigne…

— Indigne, moi !… mais je vaux cent fois mieux que