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d’autre héritage, du moins en numéraire, seulement un mobilier d’art et de curiosité des plus somptueux, quelques tableaux de prix et des créances égarées couvrant à peine des dettes innombrables. On parla d’organiser une vente. Félicia, consultée, répondit que cela lui était égal qu’on vendît tout, mais, pour Dieu ! qu’on la laissât tranquille.

La vente n’eut pas lieu cependant, grâce à la marraine, la bonne Crenmitz, qu’on vit apparaître tout à coup, tranquille et douce comme d’habitude :

« Ne les écoute pas, ma fille, ne vends rien. Ta vieille Constance a quinze mille francs de rente qui t’étaient destinés. Tu en profiteras dès à présent, voilà tout. Nous vivrons ensemble ici. Tu verras, je ne suis pas gênante. Tu feras ta sculpture, je mènerai la maison. Ça va-t-il ? »

C’était dit si tendrement, dans cet enfantillage d’accent des étrangers s’exprimant en français, que la jeune fille en fut profondément émue. Son cœur pétrifié s’ouvrit, un flot brûlant déborda de ses yeux, et elle se précipita s’engloutit dans les bras de l’ancienne danseuse : « Ah ! marraine, que tu es bonne… Oui, oui, ne me quitte plus… reste toujours avec moi… La vie me fait peur et dégoût… J’y vois tant d’hypocrisie, de mensonge ! » Et la vieille femme s’étant arrangé un nid soyeux et brodé dans cet intérieur qui ressemblait à un campement de voyageurs chargés de richesses de tous les pays, la vie à deux s’établit entre ces natures si différentes.

Ce n’était pas un petit sacrifice que Constance avait fait au cher démon de quitter sa retraite de Fontainebleau pour Paris, dont elle avait la terreur. Du jour où cette danseuse, aux caprices extravagants, qui fit