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y a toujours un mort dans mes affaires… » en regrettant un peu le petit minois frisé court de Colette de Rosen, d’un si rayonnant contraste dans tout ce noir. Fatiguée du voyage, épaissie par un deuil improvisé, la duchesse avait pour elle ces grandes façons dont l’autre manquait absolument ; et puis son mort n’était pas gênant, à celle-là, bien trop franche pour grimacer les doléances auxquelles se croient obligées les vulgaires en pareil cas, même quand ce mari défunt a été détesté et trompé de mille façons. Sous la sonore talonnade des chevaux, la route se déroulait, montant, dévalant en pentes molles, tantôt entre des petits bois de chênes, ou de grandes plaines balayées de vols de corbeaux autour des meules espacées. Le ciel doux, pluvieux, comme abaissé, filtrait par de rares échancrures un soleil pâle : et, pour s’abriter du vent de leur course, une même couverture enserrait leurs genoux rapprochés, mêlés sous la fourrure pendant qu’elle parlait de sa Corse, d’un merveilleux vocero improvisé aux funérailles par sa femme de chambre.

« Matéa ?

— Oui, Matéa !… C’est un grand poète, figurez-vous… » Et elle citait quelques vers de la vocératrice, dans ce fier patois corse qui allait bien à son contralto. Quant aux graves déterminations, pas un mot.