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caractères cunéiformes, le confondant avec son collègue de l’Académie des Inscriptions. Il faut dire qu’en dehors de Danjou, dont les comédies sont populaires à l’étranger, le grand-duc n’a jamais entendu parler des célébrités académiques présentes à ce dîner. Lavaux, le matin même, a fabriqué avec l’aide de camp une série de petits menus portant le nom de chaque invité et la nomenclature de ses principaux ouvrages. Que Son Altesse ne se soit pas plus embrouillée dans la série des compliments, voilà qui prouve un fier à-propos et une mémoire princière. Mais la soirée n’est pas finie, d’autres gloires académiques vont apparaître, déjà de sourds roulements de voitures, des claquements de portières jetées retentissent sous le porche, Monseigneur pourra se rattraper.

En attendant, d’une voix molle, lente, cherchant ses mots dont la moitié lui passe par le nez et s’y égare, Son Altesse discute un point d’histoire avec Astier-Réhu à propos de la lettre de Catherine II. Depuis longtemps les aiguières à mains ont fait le tour de la nappe, personne ne boit ni ne mange plus ; on ne respire plus même, de peur d’interrompre la conférence, toute la table hypnotisée, soulevée, et par un curieux phénomène de lévitation, littéralement pendue aux lèvres impériales. Tout à coup l’auguste nasillement s’arrête, et Léonard Astier, qui résistait pour la forme, pour