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noircies par la flamme ; puis ils se trouvèrent dans la cour d’honneur, autrefois sablée, formant aujourd’hui un champ mêlé d’avoine, de plantin, mélilo et séneçon aux mille hampes et thyrses minuscules, au milieu duquel des planches limitaient un potager fleuri de tournesols, où mûrissaient des fraises, des potirons, un jardinet de squatter à la lisière de quelque forêt vierge, et, pour compléter l’illusion, une petite construction en briques y attenait.

« Le jardin du relieur et sa boutique, » dit Védrine désignant au-dessus de la porte entr’ouverte cette enseigne en lettres d’un pied :

ALBIN  FAGE
Reliure en tous genres.

Ce Fage, relieur de la Cour des Comptes et du Conseil d’État, ayant obtenu de garder son logement échappé à l’incendie, était, avec la concierge, le seul locataire du palais. « Entrons chez lui un moment, dit Védrine… tu vas voir un bon type… » En approchant de la maison, il appela : « Hé ! père Fage !… » Mais le modeste atelier de reliure était désert, l’établi devant la fenêtre, chargé de rognures, de grandes cisailles à carton, de registres verts cornés de cuivre sous une presse. La singularité de cet intérieur, c’est que le cousoir, la table