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pourtant, quand il vint lui faire ses adieux, la chère petite infirme leva sur lui de jolis yeux timides, où il y avait écrit très lisiblement « Moi, je vous aime, si elle ne vous aime pas… »

Mais Frantz Risler ne savait pas lire l’écriture de ces yeux-là.

Heureusement que les âmes habituées à souffrir ont des patiences infinies. Son ami parti, la petite boiteuse, avec son gentil grain d’illusion qu’elle tenait de son père, affiné par sa nature de femme, se remit courageusement au travail, on se disant : « Je l’attendrai ».

Et dès lors, elle ouvrit toutes grandes les ailes de ses oiseaux, comme s’ils partaient tous l’un après l’autre pour Ismaïlia d’Égypte… Et c’était loin !

De Marseille, avant de s’embarquer, le jeune Risler écrivit encore à Sidonie une dernière lettre, à la fois comique et touchante où, mêlant les détails les plus techniques aux adieux les plus déchirants, le malheureux ingénieur déclarait partir, le cœur brisé sur le transport le Sahib, « navire mixte de la force de quinze cents chevaux », comme s’il espérait qu’un nombre aussi considérable de chevaux-vapeur impressionnerait son ingrate et lui laisserait des remords éternels. Mais Sidonie avait bien d’autres choses en tête.

Elle commençait à s’inquiéter du silence de Georges. Depuis son départ de Savigny, elle avait reçu une fois des nouvelles, puis rien. Toutes ses lettres restaient sans réponses. Il est vrai qu’elle savait par Risler que