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Claire Fromont, gênée par la grossièreté de l’entourage, ne parlait guère. Sidonie brillait de tout son éclat. La course avait animé son teint pâle et ses yeux de Paris. Elle savait bien rire, comprenait peut-être un peu trop, et, pour les gens qui étaient là, semblait la seule femme présente. Son succès achevait de griser Georges, mais à mesure qu’il s’avançait davantage, elle se montrait plus réservée. Dès lors il résolut qu’elle serait sa femme. Il se le jura à lui-même, avec cette affirmation exagérée des caractères faibles qui semblent toujours combattre d’avance les objections devant lesquelles ils savent qu’ils céderont un jour…

Ce fut pour la petite Chèbe le plus beau moment de sa vie. Même en dehors de toute visée ambitieuse, sa nature coquette et dissimulée trouvait un charme étrange à cette intrigue d’amour mystérieusement menée au milieu des festins et des fêtes.

Autour d’eux personne ne se doutait de rien. Claire était dans cette période saine et charmante de la jeunesse où l’esprit, à demi ouvert, s’attache aux choses qu’il connaît avec une confiance aveugle, la complète ignorance des trahisons et du mensonge. M. Fromont ne songeait qu’à son commerce. Sa femme nettoyait ses bijoux frénétiquement. Il n’y avait que le vieux Gardinois et ses petits yeux de vrille qui fussent à craindre, mais Sidonie l’amusait, et quand même il eût découvert quelque chose, il n’était pas homme à lui faire manquer son avenir.

Elle triomphait, quand une catastrophe subite, imprévue, vint anéantir ses espérances.