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elle ne fut pas longtemps sans s’apercevoir de l’impression qu’elle produisait sur lui.

Quand les deux jeunes filles se promenaient au fond du parc, c’était toujours Sidonie qui pensait à l’heure du train de Paris. Elles arrivaient ensemble à la grille guetter les voyageurs, et le premier regard de Georges était toujours pour mademoiselle Chèbe, un peu en arrière de son amie, mais avec de ces poses, de ces airs qui vont au-devant des yeux. Ce manège entre eux dura quelque temps. On ne se parlait pas d’amour, mais tous les mots, tous les sourires qu’on échangeait étaient pleins d’aveux et de réticences.

Un soir d’été, nuageux et lourd, comme les deux amies étaient sorties de table sitôt le dîner fini, et qu’elles se promenaient sous la longue charmille, Georges vint les rejoindre. Ils causaient tous trois indifféremment, en faisant crier les cailloux sous le pas lent de leur promenade, quand la voix de madame Fromont appela Claire du côté du château. Georges et Sidonie restèrent seuls. Ils continuèrent à marcher dans l’allée, guidés par les blancheurs vagues du sable, sans parler ni se rapprocher l’un de l’autre.

Un vent tiède agitait la charmille. La pièce d’eau soulevée battait doucement de ses flots les arches du petit pont ; et les acacias, les tilleuls, dont les fleurs détachées s’envolaient en tourbillons, parfumaient l’air électrisé… Ils se sentaient dans une atmosphère d’orage, vibrante, pénétrante. Tout au fond de leurs yeux troublés passaient de grands éclairs de chaleur, comme ceux qui allumaient la limite de l’horizon…