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 Voyons. Malvina, si tu étais riche, qu’est-ce que tu ferais ?… Moi, j’habiterais aux Champs-Élysées… » Et les grands arbres du rond-point, les voitures qui tournaient là, coquettes et ralenties, leur faisaient une vision d’une minute, délicieuse, rafraîchissante.

Dans son coin, la petite Chèbe écoutait, sans rien dire, montant soigneusement ses grappes de raisins noirs avec l’adresse précoce et le goût qu’elle avait pris dans le voisinage de Désirée. Aussi, le soir, quand M. Chèbe vint chercher sa fille, on lui en fit les plus grands compliments. Dès lors, tous ses jours furent pareils. Le lendemain, au lieu de perles noires, elle monta des perles blanches, des grains rouges en corail faux, car chez mademoiselle Le Mire on ne travaillait que dans le faux, le clinquant, et c’est bien là que la petite Chèbe devait faire l’apprentissage de sa vie.

Pendant quelque temps, la nouvelle apprentie, plus jeune et mieux élevée que les autres, se trouva isolée au milieu d’elles. Plus tard, en grandissant elle fut admise à leur amitié, à leurs confidences, sans jamais partager leurs plaisirs. Elle était trop fière pour s’en aller à midi voir les mariages, et quand elle entendait parler d’un bal de nuit au Waux-Hall ou aux Délices du Marais, d’un souper fin chez Bonvalet ou aux Quatre sergents de la Rochelle, c’était toujours avec un grand dédain.

Nous visions plus haut que cela, n’est-ce pas, petite Chèbe ?

D’ailleurs son père venait la chercher tous les soirs.