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un grand tiroir rempli de perles, d’aiguilles, de poinçons, pêle-mêle avec des livraisons de romans à quatre sous.

Pour Sidonie, il s’agissait de trier les perles, de les enfiler dans ces colliers d’égale longueur qu’on noue ensemble pour les vendre aux petits marchands. D’ailleurs, ces demoiselles allaient rentrer et lui montreraient exactement ce qu’elle aurait à faire, car mademoiselle Le Mire, (en deux mots) ne se mêlait de rien et surveillait son commerce de très loin, du fond de cette pièce noire où elle passait sa vie à lire des feuilletons.

À neuf heures, les ouvrières arrivèrent, cinq grandes filles pâles, fanées, misérablement vêtues, mais bien coiffées, avec la prétention des ouvrières pauvres qui s’en vont nu-tête dans les rues de Paris. Deux ou trois bâillaient, se frottaient les yeux, disant qu’elles tombaient de sommeil. Qui sait ce qu’elles avaient fait de leur nuit, celles-là ?…

Enfin on se mit à l’ouvrage près d’une longue table ou chacune avait son tiroir, ses outils. On venait de recevoir une commande de bijoux de deuil, il fallait se dépêcher. Sidonie, que la première avait mise au courant de sa tâche d’un ton de supériorité infinie, commença à trier mélancoliquement une multitude de perles noires, de grains de cassis, d’épis de crêpe.

Les autres, sans s’occuper de la gamine, causaient entre elles en travaillant. On parlait d’un mariage superbe qui devait avoir lieu, le jour même, à Saint-Gervais.