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rez-de-chaussée, une grande pièce simplement mais proprement meublée, avec des rideaux de cotonnade aux fenêtres, au baldaquin du lit, et des petits carrés de tapis au bas des chaises sur le carreau luisant. Madame Fromont mère, elle-même, n’aurait rien trouvé à redire à l’ordre, à la bonne tenue de l’endroit. Sur des planches formant bibliothèque quelques livres étaient rangés : le Manuel du Pêcheur à la ligne, La Parfaite Ménagère à la campagne, Les Comptes faits de Barême. C’était toute la partie intelligente de l’appartement.

Le père Planus regardait autour de lui fièrement. Le verre d’eau se trouvait à sa place sur la table en noyer, la boîte à rasoir sur la toilette.

– Tu vois, Risler… Il y a tout ce qu’il faut… D’ailleurs, si tu manquais de quelque chose, les clefs sont à tous les meubles… tu n’as qu’à ouvrir… Et regarde quelle belle vue on a d’ici… Il fait un peu noir en ce moment ; mais demain matin, en t’éveillant, tu verras, c’est magnifique. »

Il ouvrit la fenêtre. De grosses gouttes de pluie commençaient à tomber, et des éclairs déchirant la nuit montraient la longue ligne silencieuse des talus qui s’étendaient au loin, avec des poteaux télégraphiques de place en place ou la porte sombre d’une casemate. Par intervalles, le pas d’une patrouille sur le chemin de ronde, le cliquetis d’un fusil ou d’un sabre rappelaient qu’on se trouvait dans la zone militaire. C’était cela l’horizon tant vanté de Planus, horizon mélancolique s’il en fut.