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les applaudissements, les cris, le brouhaha qui suivirent, le père Planus poussa une exclamation :

– Tiens ! c’est drôle… on dirait… mais oui, je ne me trompe pas… C’est lui, c’est Delobelle !

C’était, en effet, l’illustre comédien qu’il venait de découvrir là-bas, au premier rang près de l’estrade. Sa tête grisonnante apparaissait de trois quarts. Négligemment il s’appuyait à une colonne, le chapeau à la main, dans sa grande tenue des premières ; liage éblouissant, frisure au petit fer, habit noir piqué d’un camélia à la boutonnière comme d’une décoration. Il regardait de temps en temps la foule d’un air tout à fait supérieur ; mais c’est vers l’estrade qu’il se tournait le plus souvent, avec des mines aimables, des petits sourires encourageants, des applaudissements simulés, adressés à quelqu’un que de sa place le père Planus ne pouvait pas voir.

La présence de l’illustre Delobelle dans un café-concert n’avait rien de bien extraordinaire, puisqu’il passait toutes ses soirées dehors ; pourtant le vieux caissier en ressentit un certain trouble, surtout quand il aperçut au même rang de spectateurs une capote bleue et des yeux d’acier. C’était madame Dobson, la sentimentale maîtresse de chant. Dans la fumée des pipes et la confusion de la foule, ces deux physionomies rapprochées l’une de l’autre faisaient à Sigismond l’effet de deux apparitions comme en évoquent les coïncidences d’un mauvais rêve. Il eut peur pour son ami, sans savoir précisément de quoi ; et tout de suite l’idée lui vint de l’emmener :