Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/371

Cette page n’a pas encore été corrigée

lui causa une émotion profonde, singulière, qu’elle se rappela toujours depuis. Dans la rue, des gens saluaient Risler avec intérêt. Rien que ce bonjour lui faisait chaud au cœur. Il avait tant besoin de bienveillance ! Mais le bruit des voitures l’étourdissait un peu :

– La tête me tourne,… disait-il à Planus.

– Appuie-toi bien sur moi, mon vieux,… n’aie pas peur.

Et le brave Planus se redressait, promenant son ami avec la fierté naïve et fanatique d’un paysan du Midi portant le saint de son village.

Ils arrivèrent enfin au Palais-Royal. Le jardin était plein de monde. On venait pour entendre la musique ; et dans la poussière et le fracas des chaises, chacun cherchait à se placer. Les deux amis entrèrent vite au restaurant pour échapper à tout ce train. Ils s’installèrent dans un de ces grands salons, au premier, d’où l’on aperçoit la verdure des arbres, les promeneurs et l’aigrette du jet d’eau entre les deux carrés de parterre mélancoliques. Pour Sigismond, c’était l’idéal du luxe, cette salle de restaurant, avec de l’or partout, autour des glaces, dans le lustre et jusque sur la tenture en papier gaufré. La serviette blanche, le petit pain, la carte d’un dîner à prix fixe le remplissaient de joie.

– Nous sommes bien, n’est-ce pas ?… disait-il à Risler.

Puis, à chacun des plats de ce régal à deux francs cinquante, il s’exclamait, remplissait de force l’assiette de son ami.