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– Certes… jusqu’au dernier… Je les rends à la maison. Ils sont à elle.

– Mais c’est impossible, dit Georges… Je ne peux pas souffrir cela.

Risler se retourna avec un mouvement d’indignation :

– Comment dites-vous ? Qu’est-ce que vous ne souffrirez pas ?

Claire l’arrêta d’un geste suppliant.

– C’est vrai… c’est vrai… murmura-t-il ; et il sortit bien vite pour échapper à cette tentation qui lui venait de laisser enfin déborder tout son cœur.

Le second étage était désert. Les domestiques, renvoyés et payés dès le matin, avaient abandonné l’appartement au désordre d’un lendemain de fête ; et il avait bien cet aspect particulier des endroits où vient de se passer un drame et qui restent comme en suspens entre les événements accomplis et ceux qui vont s’accomplir. Les portes ouvertes, les tapis entassés dans des coins, les plateaux chargés de verres, les apprêts du souper, la table encore servie et intacte, la poussière du bal sur tous les meubles, son parfum mêlé de punch, de fleurs fanées, de poudre de riz, tous ces détails saisirent Risler dès en entrant.

Dans le salon bouleversé le piano était ouvert, la bacchanale d’Orphée aux Enfers étalée sur le pupitre, et les tentures voyantes, drapées sur ce désordre, les sièges renversés, effarés pour ainsi dire, donnaient l’impression d’un salon de paquebot naufragé, d’une de ces affreuses nuits d’alerte où l’on apprend tout à coup, au