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penchée vers ce scintillement menu et attractif, on aurait pu la prendre pour une heureuse femme en train de choisir une parure, bien plus que pour une âme douloureuse et troublée venant chercher là le secret de sa vie.

Il était trois heures de l’après-midi. En hiver, à ce moment de la journée, la rue de la Paix a une physionomie vraiment éblouissante. Entre la matinée courte et le soir vite venu, l’existence se dépêche dans ces quartiers luxueux. C’est un va-et-vient de voitures rapides, un roulement ininterrompu, et sur les trottoirs une hâte coquette, un froissement de soie, de fourrures. L’hiver est la vraie saison de Paris. Pour le voir beau, heureux, opulent, ce Paris du diable, il faut le regarder vivre sous un ciel bas, alourdi de neige. La nature est pour ainsi dire absente du tableau. Ni vent, ni soleil. Juste assez de lumière pour que les couleurs les plus effacées, les moindres reflets prennent une valeur admirable, depuis les tons gris roux des monuments, jusqu’aux perles de jais qui constellent une toilette de femme. Les affiches de théâtres, de concerts, resplendissent, comme éclairées des splendeurs de la rampe. Les magasins ne désemplissent pas. Il semble que tous ces gens circulent pour des apprêts de fêtes perpétuelles. Alors, s’il y a une douleur qui se mêle à ce bruit, à ce mouvement, elle en paraît bien plus affreuse. Pendant cinq minutes, Claire souffrit un martyre pire que la mort. Là-bas, sur la route de Savigny, dans l’immensité des plaines désertes, son désespoir s’éparpillait à l’air vif et semblait tenir moins de place. Ici il l’étouffait. Les