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son garde, une espèce d’espion de campagne, dénonciateur gagé qui le tenait au courant de tout ce qui se passait et se disait dans le petit pays. C’était le favori du maître. Il s’appelait Fouinat et avait bien la tête aplatie, fûtée et sanguinaire de son nom.

En voyant entrer sa petite-fille, pâle et tremblante sous ses fourrures, le vieux comprit qu’il se passait quelque chose de grave et d’insolite, et fit un signe au Fouinat qui disparut, se faufila dans l’entrebâillement de la porte, comme s’il entrait dans la muraille même.

– Qué que t’as, petite ?… te voilà toute perlutée, demanda le grand-père, assis derrière son immense bureau.

Perluté, dans le dictionnaire berrichon, signifie troublé, affolé, retourné, et s’appliquait parfaitement à Claire. Sa course rapide à l’air froid de la plaine, l’effort qu’elle avait fait d’être là, donnaient à son visage, moins posé qu’à l’ordinaire, une expression inaccoutumée. Sans qu’il l’y eût engagée le moins du monde, elle vint l’embrasser et s’asseoir devant le feu, où des bûches, entourées de mousse sèche, des pommes de pin ramassées aux allées du parc, brûlaient avec des éclats de vie, des frémissements de sève. Elle ne prit même pas le temps de secouer le grésil qui emperlait sa voilette et parla tout de suite, fidèle à sa résolution de dire, dès en entrant, le motif de sa visite, avant de s’être laissé impressionner par l’atmosphère de crainte et de respect qui environnait le grand-père, en faisait une sorte de dieu redoutable.