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Dès neuf heures, tout le menu peuple du Marais, cette province cancanière, attendait aux fenêtres, aux portes, dans la rue, le passage des cabotins. Des ateliers guettaient à leurs vitres poussiéreuses, des petits bourgeois dans l’embrasure de leurs rideaux croisés, des ménagères un panier au bras, des apprentis un paquet sur la tête.

Enfin ils arrivèrent, à pied ou en voiture, solitairement ou par bandes. On les reconnaissait à leurs figures rasées, bleuâtres au menton et aux joues, à leurs airs peu naturels, trop emphatiques ou trop simples, à leurs gestes de convention, et surtout à ce débordement de sentimentalité que leur donne l’exagération nécessaire à l’optique de la scène. Les différentes façons dont ces braves gens manifestaient leur émotion en cette circonstance douloureuse étaient vraiment curieuses à observer. Chaque entrée dans la petite cour pavée et noire de la maison mortuaire étais comme une entrée en scène et variait selon l’emploi du comédien. Les grands premiers rôles, l’air fatal, le sourcil froncé, commençaient tous en arrivant par écraser du bout de leur gant une larme du coin de l’œil qu’ils ne pouvaient plus retenir ; puis soupiraient, regardaient le ciel, et restaient debout au milieu du théâtre, c’est-à-dire de la cour, le chapeau sur la cuisse, avec un petit piaffement du pied gauche qui les aidait à contenir leur douleur : « Tais-toi, mon cœur, tais-toi. » Les comiques, au contraire, « la faisaient » à la simplicité. Ils s’abordaient d’un air piteux et bonhomme, s’appelant entre eux « ma pauv’ vieille » avec des poignées de main convaincues