Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/272

Cette page n’a pas encore été corrigée

De son lit elle voyait son père et sa mère, l’une tout près d’elle, l’autre dans l’atelier dont on avait laissé la porte ouverte. La maman Delobelle était étendue sur son fauteuil avec l’abandon des longues lassitudes enfin écoutées ; et toutes ces cicatrices, ces grands coups de sabre dont l’âge et les souffrances marquent les visages vieillis, apparaissaient navrants et ineffaçables, dans cette détente du sommeil. Pendant le jour, la volonté, les préoccupations mettent comme un masque sur la véritable expression des figures : mais la nuit les rend à elles-mêmes. En ce moment, les rides profondes de la vaillante femme, les paupières rougies, les cheveux éclaircis et blancs aux tempes, la crispation de ces pauvres mains torturées au travail, tout se voyait, et Désirée vit tout.

Elle aurait voulu être assez forte pour se lever et baiser ce beau front tranquille que des rides sillonnaient sans le ternir.

Comme contraste, par l’entre-bâillement de la porte, l’illustre Delobelle apparaissait à sa fille dans une de ses attitudes favorites. Assis de trois quart devant la petite nappe blanche de son souper, il mangeait tout en parcourant une brochure appuyée en face de lui à la carafe. Le grand homme venait de rentrer, le bruit de son pas avait même dû réveiller la malade, et tout agité encore par le mouvement, le train d’une belle représentation, il soupait seul, gravement, solennellement, serré dans sa redingote neuve, la serviette au menton les cheveux redressés d’un petit coup de fer.

Pour la première fois de sa vie, Désirée remarqua ce